RECOMMANDATION Nº R (88) 18 DU COMITÉ DES MINISTRES AUX ÉTATS MEMBRES CONCERNANT LA RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES PERSONNES MORALES POUR LES INFRACTIONS COMMISES DANS L’EXERCICE DE LEURS ACTIVITÉS

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(adopté par le Comité des Ministres le 20 octobre 1988, lors de la 420 réunion des Délégués des Ministres)

Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,

Considérant le nombre croissant d’infractions pénales, commises dans l’exercice des activités des entreprises, qui occasionnent un préjudice considérable tant aux particuliers qu’à la société;

Considérant qu’il est souhaitable de lier la responsabilité aux gains découlant de l’activité illicite;

Considérant la difficulté que pose l’identification des personnes physiques responsables d’une infraction, compte tenu de la structure souvent complexe des entreprises ;

Considérant la difficulté de rendre des entreprises ayant personnalité juridique pénalement responsables, en raison des traditions juridiques de nombreux Etats européens;

Désireux de surmonter ces difficultés afin, d’une part, de rendre les entreprises responsables en tant que talles, sans pour autant exonérer de leur responsabilité les personnes physiques impliquées dans l’infraction et, d’autre part, de prévoir des sanctions et des mesures adaptées aux entreprises, afin de réaliser la répression des activités illicites, la prévention d’autres infractions et la réparation des préjudices causés.

Considérant que l’introduction dans les législations nationales du principe de la responsabilité pénale des entreprises personnes morales n’est pas la seule façon de faire face à ces difficultés et n’est pas exclusive de l’adoption d’autres solutions visant les mêmes buts ;

Eu égard à la Résolution (77) 28 sur la contribution du droit pénal à la protection de l’environnement, à la Recommandation nº R (81) 12 sur la criminalité des affaires et à la Recommandation nº R (82) 15 sur le rôle du droit pénal dans la protection des consommateurs,

Recommande aux gouvernements des Etats membres de s’inspirer, dans leur droit et dans leur pratique, des principes énoncés dans l’annexe à la présente Recommandation.

Annexe à la Recommandation n° R (88) 18

Les recommandations ci-après visent à encourager l’adoption de mesures propres à rendre les entreprises responsables des infractions commises dans l’exercice de leurs activités, par-delà les régimes existants de responsabilité civile des entreprises auxquelles les présentes recommandations ne s’appliquent pas.

Elles s’appliquent aux entreprises, privées ou publiques, dotées de la personnalité juridique, pour autant qu’elles exercent des activités économiques.

I. Responsabilité

  1. Les entreprises devraient pouvoir être rendues responsables d’infractions commises dans l’exercice de leurs activités, mêmé lorsque l’infraction est étrangère à l’objet de l’entreprise.
  2. L’entreprise devrait être ainsi responsable sans qu’il y ait ou non identification d’une personne physique ayant commis les faits ou omissions constitutifs de l’infraction.
  3. Afin de rendre les entreprises responsables, il conviendrait d’envisager notamment :
    1. l’application de la responsabilité et des sanctions pénales aux entreprises, lorsque la nature de l’infraction, la gravité de la faute de l’entreprise, les conséquences pour la société et la nécessité de prévenir d’autres infractions l’exigent ;
    2. l’application d’autres systèmes de responsabilité et de sanctions, par exemple celles infligées par des autorités administratives et soumises à un contrôle judiciaire, notamment pour tout comportement illicite n’exigeant pas que l’auteur de l’infraction soit traité comme un criminel.
  4. L’entreprise devrait être exonérée de sa responsabilité lorsque sa direction n’est pas impliquée dans l’infraction et a pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir la commission de l’infraction.
  5. L’imputation de la responsabilité à l’entreprise ne devrait pas exonérer de leur responsabilité les personnes physiques impliquées dans l’infraction. En particulier, les personnes exerçant des fonctions de direction devraient être rendues responsables de manquements à leurs obligations ayant conduit à une infraction.

II. Sanctions

6. En prévoyant les sanctions appropriées qui pourraient être infligées à des entreprises, une attention particulière devrait être apportée aux objectifs non répressifs tels que la prévention d’autres infractions et la réparation des préjudices subis par les victimes de l’infraction.

7. Il conviendrait d’envisager l’introduction de sanctions et de mesures particulièrement adaptées aux entreprises. Celles-ci pourraient comprendre notamment :

    • l’avertissement, l’admonestation, le cautionnement ;
    • une décision portant déclaration de responsabilité et dispense de sanction;
    • l’amende ou autre sanction pécuniaire ;
    • la confiscation des biens utilisés dans la commission de l’infraction ou représentant les gains tirés de l’activité illicite ;
    • l’interdiction d’exercer certaines activités, notamment l’exclusion des marchés publics;
    • l’interdiction de bénéficier d’avantages fiscaux et de subventions ;
    • l’interdiction de faire de la publicité pour des marchandises ou des services;
    • la suppression d’autorisations ;
    • la destitution des membres de la direction ;
    • le placement provisoire de l’entreprise sous la responsabilité d’un administrateur désigné par la justice ;
    • la fermeture de l’entreprise ;
    • la dissolution de l’entreprise;
    • l’indemnisation de la victime et/ou la restitution à celle-ci ;
    • la remise en état d’origine;
    • la publication de la décision infligeant une sanction ou une mesure.

Ces sanctions et mesures peuvent être appliquées seules ou de manière combinée, avec ou sans sursis, à titre principal ou accessoire.

  1. Dans la détermination des sanctions ou des mesures applicables dans un cas déterminé, notamment celles de nature pécuniaire, il conviendrait de prendre en compte le gain que l’entreprise a tiré de ses activités illicites, ce gain pouvant être évalué, le cas échéant, par estimation.
  2. Pour prévenir la continuation d’une infraction ou la commission d’autres infractions, ou pour assurer l’exécution d’une sanction ou d’une mesure, l’autorité compétente devrait envisager l’application de mesures provisoires.
  3. Afin de permettre à l’autorité compétente de prendre sa décision en pleine connaissance des sanctions ou mesures antérieurement infligées à l’entreprise, il conviendrait soit de les inscrire au casier judiciaire, soit d’instituer un registre qui leur sera réservé.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Introduction

  1. La Recommandation nº R (88) 18 visée par le présent exposé des motifs a été établie par le Comité restreint d’experts sur la responsabilité pénale des personnes morales (PC-R-CL), créé en 1982 pour examiner la possibilité et l’opportunité d’introduire dans la législation des Etats membres le principe de la responsabilité pénale des personnes morales ou d’autres institutions visant les mêmes buts.
  2. Le comité restreint comprenait des experts de sept Etats membres du Conseil de l’Europe (Chypre, Danemark, Italie, Liechtenstein, Portugal, Espagne et Suède). La Finlande et l’Association internationale de droit pénal étaient représentées par des observateurs. De plus, le comité a bénéficié, à différents stades de ses travaux, du concours des experts scientifiques ci-après : MM. les professeurs G. Kellens (Belgique), L.H. Leigh (Royaume-Uni), K. Tiedemann (République Fédérale d’Allemagne) et M. le juge A.A. Torringa (Pays-Bas).
  3. Le comité restreint, présidé par M. H.J. Stotter (Liechtenstein), a tenu sept réunions (2-4 novembre 1983, 9-11 mai 1984, 7-9 novembre 1984, 29-31 mai 1985, 26-28 novembre 1986, 3-5 juin 1987 et 2-4 décembre 1987).
  4. Le projet de recommandation préparé au cours de ces réunions a été approuvé par le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) au cours de sa 37ª session plénière en juin 1988 et a été adopté par le Comité des Ministres à la 420ª réunion de leurs Délégués le 20 octobre 1988.

Généralités

  1. L’accroissement de la criminalité économique a aggravé le problème de la soumission à la justice des auteurs d’infractions commises en relation avec des activités économiques. Un grand nombre de ces infractions sont commises dans l’exercice des activités des entreprises. Les structures de gestion souvent complexes des entreprises rendent fréquemment difficile, sinon impossible, d’identifier les vrais responsables de ces infractions. Même lorsqu’il est possible d’identifier un salarié d’une entreprise comme étant l’auteur effectif d’une infraction, il n’est pas toujours possible d’apporter la preuve directe que des supérieurs hiérarchiques sont impliqués dans l’infraction. De surcroit, chaque infraction peut être le résultat de décisions, actes ou négligences émanant de personnes différentes, bien que correspondant à un esprit général, imposé par la direction dans l’entreprise. Dans de tels cas, il risque d’être impossible de rendre quelqu’un responsable, et même si l’on y parvient, la responsabilité réelle risque d’être plus diffuse. En l’occurrence, une sanction infligée à un individu risque, d’une part, d’être insuffisamment dissuasive pour empêcher l’entreprise de commettre d’autres infractions et, d’autre part, de ne pas inciter la direction ou des cadres de l’entreprise à réorganiser les structures de contrôle de celle­ ci. Pour venir à bout de ces difficultés, les législateurs de nombreux pays européens ont tenté de rendre les entreprises elles-mêmes pénalement responsables.
  2. Dans ce contexte, un problème majeur se pose: comment imputer une culpabilité –mens rea ou négligence– à une personne morale? Dans de nombreux systèmes de droit, la notion de culpabilité inclut un élément de blâme qui, en théorie pénale classique, s’adresse nécessairement à une personne physique.
  3. Lorsque le comité restreint a cherché à connaître la situation existant dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, il a relevé que dans les pays de la common law, le problème n’existe pas en ce qui concerne les personnes morales: le principe est qu’une personne morale peut être pénalement responsable au même titre qu’une personne physique. Cette règle repose sur l’idée que les directeurs ou autres cadres supérieurs agissant au nom de la société sont -juridiquement – la société: ils sont, pour ainsi dire, l’alter ego de la société, d’où il résulte que leur faute est imputée à la société, ce qui rend celle-ci pénalement responsable. Il reste que plusieurs systèmes juridiques européens ne prévoient pas, ou ne prévoient pas pleinement, la responsabilité pénale des personnes morales; ils adhérent à la règle traditionnelle qui veut que seules les personnes physiques puissent être coupables d’une infraction.
  4. Mais le comité restreint à également observé une tendance, dans plusieurs pays, à abandonner cette notion traditionnelle de culpabilité et à rendre la personne morale responsable, et ceci par plusieurs moyens: en créant des infractions pour lesquelles la preuve de la culpabilité n’est pas exigée, en déduisant la culpabilité de la société de celle des personnes physiques responsables de l’infraction, en prévoyant une responsabilité accessoire de l’entreprise ou en créant une responsabilité particulière pour certaines infractions qui ne sont réprimées que par une sanction pécuniaire –amende, Geldbusse (Allemagne), coima (Portugal) ou företagsbot (Suède), par exemple– le système n’étant pas fondé sur le concept traditionnel de culpabilité et étant donc applicable aux personnes morales.
  5. La Recommandation nº R (88) 18 vise à favoriser cette évolution. Elle est fondée sur la certitude que la lutte contre la criminalité économique passe par l’imputation d’une responsabilité à l’entreprise elle-même pour que les infractions commises dans l’exercice de ses activités ne restent pas impunies. La Recommandation ne traite pas de questions de procédure. Il appartient à chaque Etat membre d’établir les procédures les mieux adaptées à son ordre juridique, étant entendu que les entreprises devraient bénéficier de droits et garanties analogues à ceux accordés aux personnes physiques accusées d’une infraction.
  1. À cet effet, elle établit, dans une annexe, dix principes regroupés en deux chapitres, dont le premier traite du principe de responsabilité et le deuxième des sanctions et mesures applicables aux entreprises.
  2. Il est recommandé aux gouvernements des Etats membres de s’inspirer de ces principes dans leur droit et leur pratique. L’emploi de l’expression «s’inspirer de» s’explique par la volonté de laisser aux gouvernements la plus grande liberté possible pour choisir les moyens propres à rendre les entreprises responsables des infractions commises dans le cadre de leurs activités. Pour la même raison, on a préféré le terme «principe» au mot «règle» puisque le but de la Recommandation n’est pas de faire adopter des règles uniformes, mais plutôt de promouvoir la reconnaissance générale, dans le droit et la pratique des Etats membres, du concept de responsabilité qui fonde les différentes recommandations.

Commentaires de l’annexe

  1. Les principes énoncés dans l’annexe sont précédés d’une brève introduction qui délimite le champ d’application de la Recommandation.
  1. Le premier paragraphe de cette introduction énonce l’objectif de la Recommandation, qui est d’encourager l’adoption de mesures propres à rendre les entreprises responsables des infractions commises dans l’exercice de leurs activités; il précise que les principes visés dans l’annexe sont sans incidence sur les régimes existants de responsabilité civile.
  2. Conformément au deuxième paragraphe de l’introduction, la Recommandation ne s’applique qu’aux entreprises personnes morales, c’est-à-dire aux entités auxquelles le droit interne confère la personnalité juridique.
  3. Il n’a été jugé ni utile ni nécessaire de donner une définition de l’entreprise, laquelle est entendue dans le sens qui lui est normalement attribué par la législation interne des Etats membres ainsi que par les traités internationaux (exemple: articles 85 et 86 du Traité CEE).
  4. La distinction qui est faite entre entreprises privées et entreprises publiques vise les Etats membres ou la constitution et les activités des entreprises peuvent être régies par des dispositions soit de droit privé, soit de droit public. Il ne faut donc pas la confondre avec celle opérée par exemple en droit anglais, où par public limited company on entend une société dont les actions peuvent s’échanger sur le marché boursier. Dès lors que la Recommandation s’applique aux entreprises publiques, les Etats membres pourraient juger nécessaire de subordonner son application à certaines conditions, en ce qui concerne en particulier les sanctions susceptibles d’être imposées à ces entreprises.
  5. Les principes ne s’appliquent qu’aux entreprises qui exercent des activités économiques. Les organismes exerçant des fonctions administratives ou investis de pouvoirs souverains de jure imperii restent en dehors du champ d’application de la Recommandation.

I. Responsabilité

I.1

  1. La recommandation I.1 énonce l’objectif général qui est de rendre les entreprises responsables des infractions commises dans l’exercice de leurs activités. Cet objectif vaut, que l’activité constitutive de l’infraction entre dans le cadre de l’objet de l’entreprise ou soit étrangère à celui-ci. Il s’applique donc lorsque les activités d’une entreprise servent à couvrir une conduite répréhensible. Cette recommandation est à rapprocher de la recommandation I.4 relative à l’exonération de responsabilité.

I.2

  1. Conformément à la recommandation I.2, la responsabilité de l’entreprise devrait être établie, qu’il soit ou non possible d’imputer à une personne physique les actes ou omissions constitutives de l’infraction. L’absence d’une faute personnelle n’exclut pas nécessairement la responsabilité de l’entreprise. Lorsque l’identification de l’auteur de l’infraction est possible, la recommandation I.5 s’applique: la responsabilité de l’entreprise doit être cumulative : elle n’exonère pas de sa responsabilité la personne physique auteur de l’infraction.

I.3

  1. L’extension de la responsabilité pénale aux entreprises n’est qu’un moyen parmi d’autres de réaliser l’objectif de la Recommandation. Il existe d’autres moyens, hors de la sphère du droit pénal, comme une responsabilité non pénale -ou quasi pénale – sur le modèle allemand des Ordnungswidrigkeiten ou des infractions visant les règles anticartel de la CEE, ou une responsabilité fondée sur un système de sanctions non tributaire du concept traditionnel de culpabilité. La recommandation I.3 cite deux de ces moyens que le comité restreint à jugés particulièrement pertinents. Ils sont mentionnés à titre d’exemple, ce qui laisse aux Etats membres la plus grande latitude pour choisir le type de responsabilité le mieux adapté à leur système juridique.
  2. L’alinéa a vise l’application d’une responsabilité et de sanctions pénales. Ce système est recommandé lorsque la nature de l’infraction, la nature et la gravité de la faute, les conséquences pour la société et la nécessité de prévenir d’autres infractions exigent l’imposition de sanctions pénales. Il pourrait être nécessaire de s’écarter des notions traditionnelles de faute et de culpabilité et de s’approcher d’un système de responsabilité fondé sur la notion de faute sociale.
  3. L’alinéa b s’inspire du système allemand des Ordnungswidrigkeiten, c’est-à-dire un régime de responsabilité quasi pénale avec des sanctions imposées par les autorités administratives, soumises au contrôle des tribunaux. L’application de ce système est recommandée notamment en cas de comportement illicite qui, indépendamment de sa gravité, n’exige pas l’imposition de sanctions pénales.

I.4

  1. Il faut lire la recommandation I.4 en liaison avec la recommandation I.1: en principe, l’entreprise devrait encourir une responsabilité, même lorsque l’infraction est étrangère à son objet. Ce n’est que lorsqu’il serait manifestement inéquitable de la tenir responsable que l’entreprise devrait être exonérée de responsabilité. Une entreprise pourrait être exonérée sous deux conditions minimales : la première est que la direction –soit la direction toute entière, soit un ou plusieurs de ses membres– n’ait pas été impliquée dans l’infraction. Le terme «impliquée» devrait être entendu dans un sens large de manière à ce qu’y soient inclus les cas où la direction, tout en n’étant pas directement impliquée dans la commission de l’infraction, a accepté en toute connaissance de cause les profits qui en ont résulté. La seconde condition est que la direction ait pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher que l’infraction ne se produise (par exemple lorsqu’un employé se livre à une activité illégale en violation des instructions que la direction à données et effectivement mises en vigueur en vue de prévenir l’activité illégale en cause).

I.5

  1. La recommandation I.5 vise les relations entre la responsabilité de l’entreprise et celle de toute personne impliquée dans l’infraction. En principe, elles sont toutes deux responsables de l’infraction: ainsi, si une personne physique peut être identifiée comme l’auteur de l’infraction, elle reste pénalement responsable, indépendamment de toute responsabilité que pourrait encourir l’entreprise.
  2. Une responsabilité personnelle devrait être prévue, surtout pour les personnes qui exercent des fonctions de direction (directeurs, administrateurs et cadres). En particulier, elles devraient être tenues pour responsables des manquements à leur obligation de surveillance ayant abouti à une infraction. Le libellé choisi a pour but de permettre aux législateurs de décider s’il y à lieu ou non d’établir une condition de causalité.

II. Sanctions

II.6

  1. Pour ce qui est des sanctions susceptibles d’être infligées aux entreprises, la recommandation II.6 précise que la répression ne devrait pas être nécessairement l’objectif principal; une attention particulière devrait être portée à d’autres objectifs comme la prévention de nouvelles infractions et la réparation du préjudice subi par la victime de l’infraction. Cette recommandation est la conséquence de celle énoncée au point I.3: l’application de la responsabilité et de sanctions pénales aux entreprises n’est qu’un moyen parmi d’autres ouverts aux gouvernements pour donner effet à la Recommandation.

II.7

  1. La recommandation II.7 donne des exemples de sanctions et de mesures particulièrement adaptées aux entreprises. En établissant cette liste, le comité restreint s’est efforcé de maintenir une grande souplesse pour permettre aux Etats d’adopter les sanctions les mieux adaptées au système de responsabilité retenu.
  2. Parmi les sanctions pénales classiques, seules l’amende et la confiscation peuvent être appliquées aux entreprises. Il parait toutefois douteux que des sanctions pécuniaires -qu’elles soient de nature pénale ou quasi pénale- suffisent à produire l’effet de dissuasion souhaité. C’est pourquoi la liste comprend plusieurs autres sanctions et mesures qui visent spécifiquement les entreprises et qui affectent soit leurs biens, soit l’exercice de leurs activités, voire leur existence mémé. Le comité restreint a estimé en fait que des mesures autres que des sanctions pécuniaires -indemnisation des victimes, interdiction ou sus­ pension de certaines activités, suppression d’autorisations ou fermeture de l’entreprise- pourraient être plus efficaces, sous réserve que les intérêts d’autrui, par exemple de la main-d’œuvre ou des créanciers, soient suffisamment préservés. L’indemnisation des victimes a été considérée comme une sanction particulièrement appropriée parce qu’elle éviterait aux personnes lésées d’avoir à engager une procédure distincte pour faire valoir leurs droits. Une autre mesure particulièrement appropriée est l’ordonnance de restitutio in integrum.
  3. Deux des mesures recommandées –destitution des membres de la direction et placement provisoire de l’entreprise sous la responsabilité d’un administrateur désigné par la justice– visent les dirigeants responsables de l’infraction plutôt que l’entreprise au nom de laquelle l’infraction a été commise. De telles décisions peuvent se substituer à des poursuites contre l’entreprise qui peut elle-même être victime de l’activité illégale de la direction. La désignation d’un administrateur per­mettrait la poursuite de l’activité de l’entreprise, ce qui éviterait de pénaliser les employés, les actionnaires et les créanciers.
  4. Aucune des sanctions et mesures recommandées n’est entendue comme exclusive des autres; elles peuvent être prises seules ou être associées. De plus, elles peuvent constituer une décision principale ou accessoire. Lorsque, par exemple, l’autorité estime justifié de prendre une mesure autre qu’une sanction pécuniaire, elle peut infliger cette mesure soit comme un substitut à une amende, soit comme une sanction accessoire s’ajoutant à une amende, et elle peut l’infliger avec sursis.

II.8

  1. La recommandation II.8 s’efforce d’orienter le choix d’une sanction ou d’une mesure à infliger dans un cas donné en faisant valoir la nécessité de tenir compte du gain que l’entreprise a tiré de ses activités illicites. Cela vaut particulièrement pour les amendes et autres sanctions pécuniaires, lesquelles devraient être fixées en tenant compte du gain éventuel et non pas seulement par rapport à la gravité de l’infraction. Pour surmonter des difficultés d’ordre procédural, le gain peut faire, si nécessaire, l’objet d’une estimation.

II.9

  1. Pour empêcher la continuation d’une infraction ou la commission d’autres infractions, ou pour éviter que l’entreprise ne prenne des dispositions qui rendraient difficile ou impossible l’application d’une sanction ou mesure, l’autorité devrait envisager d’ordonner des mesures conservatoires, en attendant sa décision sur la sanction ou mesure à infliger. Elle pourrait, par exemple par voie d’injonction, empêcher l’entreprise de disposer des biens nécessaires au paiement d’une amende ou à l’indemnisation de la victime au titre du dommage causé par l’infraction.

II.10

  1. L’objet du casier judiciaire est de fournir aux instances de la justice pénale des renseignements sur les antécédents du défendeur, pour leur permettre d’«individualiser » la sanction. La connaissance des antécédents est également indispensable pour ce qui est des entreprises, quelle que soit la nature, pénale ou non, des sanctions qui leur sont infligées. C’est pourquoi il est proposé que les pouvoirs publics envisagent la création d’un fichier central sur lequel seraient portées toutes ces sanctions et mesures.