Jean Bodin (1576)

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Tipo publicación: Monografía


Jean Bodin o Bodino (1529-1596)

La primera edición de los Six livres de la République apareció en París en 1576, impresa por Jacques du Pays. Hasta 1629 aparecieron catorce ediciones francesas y nueve latinas entre 1586 y 1641. Nosotros utilizamos una versión facsimilar de la décima edición, aparecida en Lyon en 1593, impresa por Gabriel Cartier. El facsímil, editado por Fayard (París, 1986), forma parte de la colección “Corpus des oeuvres de philosophie en langue française”.

Se reproduce la última parte del capítulo 7, en el libro 3º (págs. 193-210).


 

1.    Forme de punir les corps et communautez

Mais d´autant que les actes faicts par la pluralité des collegues assemblez collegialement, ou d´un corps de ville en assemblee legitime, sont reputez comme s´ils estoyent faicts par tout le college, ou par tous les habitans d´une ville, c´est pourquoy en ce cas toute la communauté est punie: comme il se fait és rebellions des villes et seditions des communautez, qui sont punies en corps par privation de privleges, droit de communauté, amendes, charges, servitudes et autres peines selon la qualité du forfaict: mais telle punition ne doit avoir lieu, si la rebellion ou autre crime n s´est commis par l´adveu de la communauté, et arresté en l´assemblee: comme il fut jugé par arrest[1] de la Cour de Parlement, pour la communauté de Corbeil: et neantmoins, s´il eschet punition corporelle, on ne doit punir que ceux qui ont presté consentement[2], ores que la communauté ou college soit condamné en corps: car mesmes pour simple delict faict par plusieurs sans college ni communauté, il n´y a sinon action contre un chacun en particulier, et pour le tout, de sorte que l´un ayant satisfaict, les autres sont quittes: mais si la chose s´est faicte par quelqu´un suyvant l´advis, conseil et deliberation de tous, ils peuventtous estre apellez et chacun solidairement, jaçoit que l´un estant appellé les auters ne sont pas quittes[3]. Mais on peut dire qu´il n´y a point de apparence que plusieurs voire la pluspart d´un college ou communauté, soyent declairez innocents [194], et neantmoins qu´ils soyent punis en corps, és cas que j´ay dit ci dessus. A cela je respon, qu´il est encores plus estrange, que les innocents soyent tirez au sort avec les meschans, et que ceux la soyent punis sur lesquels tombera le sort: comme il se faisoit quand l´armee estoit decimee, pour s´estre porté laschement contre les ennemis, les plus hardis et vaillans estoyent bien souvent tirez, et comme lasches executez: c´est l´exemple duquel usa le Senateur Cassius[4], quand il persuada en plein Senat qu´on mist quatre cents esclaves à mort, ores qu´il n´y en eust pas un qu´on peust dire coulpable du meurtre commis en la personne de leur maistre: adjoustant ces mots, Omne magnum exemplum habet aliquid ex iniquo, quod publica utilitate compensatur. Ce n´est pas, dira quelqu´un, payer la debte d´alleguer in inconvenient: je respon que la plus belle justice qu´on peut faire, c´est d´eschevir de plusieurs inconvenients le plus grand, quand il est question des forfaits, qu´il ne faut laisser impunis: car nous voyons que les plus sages[5] et advisez Jurisconsultes ont decidé, que s´il y a quelqu´un tué, frappé, ou desrobé par plusieurs, tous en sont tenus solidairement, encores qu´il n´y ait que l´un, peut estre, qui ait donné le coup mortel: car s´il est du tout incognu qui c´est qui a frappé, tous sont absous: comme il est decidé par les docteurs en la loy item Mela. §. si plures. cum glo. mais, s´il appert que pas un ne puisse avoir commis le larcin, comme d´une grosse poutre, que plusieurs emportent: neantmoins tous sont tenus du larcin: auquel cas les Jurisconsultes[6] n´ont point d´autre raison, que l´inconvenient qui advient plus grand d´un costé, quand on veut fuïr l´autre: qui est le plus fort argument qu´on puisse avoir, pour esclaicir la verité de toutes choses, quand tous les autres defaillent. Nous ne parlons pas ici de ce que font les ennemis aux villes assiegees et prises par force, pillans, tuans, saccageans aussi bien [195] l´innocent que le meschant, mais de ce que doit faire le Prince envers ses subjects rebelles: combien que les Romains, lors qu´ils estoyent estimez les plus justes peuples de la terre, n´ont pas tousjours suyvi la reigle que nous avons posee: mais souvent ils ont puni, non seulement en corps, ains aussi en particulier tous les habitans des villes rebelles, apres les avoir prises: et neantmoins ils ont tousjours gardé ce point, que les chefs ont esté punis plus grievement, et conservé ceux qui ont resisté aux mutins, ayans esgard, si en corps et communauté la rebellion estoit deliberee et arrestee. Valerius Levinus[7] Agringento capto, dit Tite Live, qui capita rerum erant, virgis caesos securi percussit, caeteros praedamque vendidit et en autre lieu, Quoniam authores defectionis, inquit, meritas poenas a diis immortalibus, et a vobis habent, P. C. quid placet de innoxia multitudine fieri? Tandem ignotum est illis, et civitas data: et le Consul Fulvius apres avoir pris Capouë, punit capitalement quatre vingts senateurs, outre XXVII. qui s´estoyent empoisonnez: et trois cents gentilshommes furent vendus comme esclaves. Et quant aux autres villes, qui estoyent sous l´obeïssance des Capouans, il n´y eut que les chefs punis. Atella, Calatiáque, dit Tite Live, in deditionem acceptae, ibi quoque in eos qui capita rerum erant animadversum. L´autre Consul Appius vouloit aussi qu´on s´enquist des alliez, qui avoyent eu secrettement part à la conjuration: mais Fulvius l´empescha, disant que ce seroit soliciter les fideles et loyaux aliez à se rebeller, en adjoustant foy aux traistres Capouans. Quoy que ce soit, nous trouvons que les Romains ont laissé bien peu de rebellions impunies tant que la Republique a esté populaire. Et quant aux Empereurs Romains, les uns ont usé de grace, les autres de cruauté extreme: l´Empereur Aurelian ayant mis le siege devant la ville de Thyane, jura qu´il n´eschapperoit pas un chien [196] qui ne fust mis à mort: ayant forcé la ville, il defendit de tuer personne: et lors qu´il fut sommé du serment qu´il avoit faict, il dit qu´il n´avoit entendu parler que des chiens, qu´il fit tous mettre à mort[8]: aussi Henry V. Empereur ayant condamné Bresse à estre rasee et mise en friche, leur pardonna neantmoins, à fin que les justes ne portassent la peine des injustes, suyvant en cela la bonté de Dieu, qui promet pardonner à tout un païs s´il y en a dix justes: les autres ont usé de cruautez barbares, tuans sans discretion bons et mauvais, por la faute de quelques uns: comme l´Empereur Caracalla, lequel pour venger sa douler de quelques chansons qu´on disoit en Alexandrie contre luy, fit entremesler les soldats avec le peuple, pendant qu´on regardoit les jeux: et au signal donné ils tuerent, une infinité de peuple: ce qui avoit esté auparavant executé en Hierusalem, et depuis en Thessalonique, où l´Empereur Theodose le Grand fit tuer sept mil habitans peslemesle, pour le meurtre commis en la personne de quelques Magistrats, sans l´avoir deliberé, ni arrestré en corps et communauté. Xerxes Roy de Perse usa d´une autre vengeance, non pas si grande, mais bien plus contumelieuse, faisant couper le nez à tous les habitans d´une ville de Syrie, qui depuis fut appelee Rhinocura, quasi pour semblable faute de quelques uns. Comme aussi le Dictateur Sylla fit mourir tous les habitans de Preneste, et ne pardonna qu´à son hoste, le quel voulut aussi mourir, disant qu´il ne vouloit pas tenir la vie du meurtrier de sa patrie, comme dit Plutarque. Cela pourroit estre supportable, quand les vaincus aiment mieux mourir que d´estre subjects, et non pas s´ils son contents de servir ou d´obeïr: comme les Pisans s´estans rebellez contre les Florentins leurs seigneurs, suos la faveur de Charles VIII. s´abandonnerent au Comte Valentin, qui ne les peut garentir: et puis aux Genevois, qui n´en voulurent point, non plus que les Venitiens: et neantmoins [197] apres un long assiegement se rendirent aux Florentins, qui les traitterent doucement, et depuis son demeurez bons subjects: mais Louïs Comte de Flandres dernier de sa maison (car apres sa mort le Comté tomba en la maison de Bourgongne) ayant reduit les Gantois à telle necessité por leurs rebellions, de demander grace et pardon, ne voulut pas les recevoir, ains leur fit dire qu´ils vinssent tous devant luy la hart au col luy demander pardon, et qu´il adviseroit ce qu´il auroit à faire. Ce qui mit ce povre peuple en tel desespoir, qu´ils allerent jusques au nombre de cinq mil affronter l´armee du Comte de XI. mil hommes, qu´ils deffirent, et rendirent toutes les villes de Flandres sous leur obeïssance, excepté seulement Audenarde: et le Comte s´estant sauvé de la deffaite s´alla musser sous le liect d´une povre femme qui le fit eschapper en cueilleur de pommes, et depuis n´ont jamais esté obeïssans aux Comtes. On apperceut alors qu´il n´y a rien plus vaillant contre son seigneur, que le subject desesperé: ni guerre plus juste que celle qui est necessaire, comme disoit un ancien Senateur Romain. Ce peuple duquel j´ay parlé, outre la peine inevitable, estoit reduit à souffrir une contumelie pire que la mort. Car la contumelie est tousjours plus grande envers les hommes genereux que la mort. Et advient quelquesfois, qu´ils doublent la contumelie et la cruauté ensemble: comme fit Federic II. Empereur envers les Milanois: apres avoir tué les principaux et rasé la ville, il usa d´une peine plus contumelieuse que cruelle envers les autres: comme aussi sin Dagobert Roy de France envers les habitans de Poitiers, pour avoir donné secours à ses ennemis, il ne se contenta pas de tuer les habitans, ains aussi sit raser la ville, et l´ensemencer de sel: depuis lequel temps on a appellé les Poictevins salez. Mais tout ainsi que les Princes qui passent par souffrance les seditions et rebellions des corps et communautez de villes ou provinces, donnent [198] exemple aux autres de les suyvre: aussi ceux-là qui exercent leur cruauté sans mesure, non seulement ils emportent la qualité de tyrans barbares et cruels, ains aussi hazardent leur estat. Celuy meritera la louange de juste Prince, et conservera son estat, qui tiendra le moyen de punir les chefs et auteurs des rebellions: comme fit Charles de France, qui depuis fut Roy de Naples: lequel ayant la commission pour chastier les habitans de Mont-pellier, leur osta tout droit de communauté, consulat et jurisdiction: et ordonna que les murailles seroyent rasees, les cloches abattues, et les condamna à six vingts mil francs d´or. Il y en a qui ont escrit que la moitié des biens des habitans fut confisquee: et entre les borgeois 600 partie noyez, partie pendus, et le reste bruslez. Neantmoins la chose fut depuis moderee, en sorte qu´il n´y eut que les coulpables executez: comme en cas pareil il fut faict à la rebellion de Paris sous Charles VI. qui fut encores plus douce: jaçoit qu´il n´y eust eu á Montpellier, ni assemblee de ville, ni conjuration deliberee en corps. Et quand bien tous les habitans d´une ville, en particulier, et en corps, auroyent deliberé, consenti, arresté une rebellion ou conjuration, si est-ce qu´il ne faut pas que le sage Prince s´advance de les punir tous, attendu le danger qu´il y a pour l´estat. Et pour cets cause le Consult T. Quintius voyant le peril qu´il y avoit de vouloir punir l´armee qu´il avoit sous sa conduite pour la rebellion, apres avoir appaisé les choses, il s´en retourna à Rome, et presenta requeste au peuple, par l´advis du Senat, qui fut enterinee sur le champ, Ne cui militum fraudi esset secessio. Et en cas semblable la rebellion des soldats à la ville de Sucrone, fut punit par l´execution de XXX. hommes seulement: certabatur, dit Tite Live, utrum in autores tantum seditionis XXXV animadverteretur, an plurium supplicio vindicanda defectio magis esset quam seditio: vicit sententia lenior, ut unde orta culpa [199] esset, ibi poena consisteret, ad multitudinis castigationem satis esse: et peu apres en la harangue que Scipion fit à l´armee, il dit ces mots, Se non secus quam viscera secantem sua cum gemitu, et lacrymis XXX. hominum capitibus, expiasse octo millium noxam. Mais quand le Consul Appius, superbe et haut à la main, voulut user de sa puissance sur l´armee, les Capitaines et Lieutenans l´en destournerent: luyu remonstrans, qu´il estoit fort dangereux d´exprouver sa puissance, qui n´estoit fondee qu´en l´obeïssance des sujects. Et combien que la punition se peut faire sans crainte, si est-ce qu´il n´en faut pas user, et suffit en la punition des corps et communautez, ut poena ad paucos, metus ad omnes perveniat: comme disoit un ancien orateur. Encores ne faut il pas que le Prince souverain soit executeur de telles punitions, s´il se peut faire en son absence: à fin que le coeur de ses sujects ne soit aucunement aliené de luy: ains, au contraire, il est besoin qu´il modere la peine que ses lieutenans auront imposee. Nous en avons l´exemple d´Antioque le grand Roy d´Asie, lequel donna commission à Hermeas Connestable de chastier la rebelliion des habitans de Seleucie, lequel condamna le corps de la ville à six cents mil escus d´amende, et en bannit un grand nombre, ostant tous les privileges à la ville. Le Roy Antioque rappella tous les bannis, et se contenta de XC. mil escus, et restitua la ville en tous ses privileges[9]. Et sans aller plus loing, le Roy Henry ayant donné commission au Duc de Mont-morency Connestable, de chastier la rebellion du païs de Guyenne, et mesmement des habitans de Bourdeaux, ottroya depuis abolition generale, et remit le rasement de la maison de ville, l´amende de deux cents mil livres, et les frais de la conduite de l´armee, en quoy les habitans de Bourdeaux estoyent condamnez: et restitua le droit de corps et college de ville: exceptant seulement ceuix qui [200] avoyent mis la main sur les officiers, et quelques privileges, et domaine de la ville qui fut retranché.

2.    Punition des Gantois

L´Empereur Charles V en usa tout autrement, contre les habitans de Gand, car luy mesme en presence voulut saouler son appetit de la vengeance qu´il print de mil seditions et rebellions qu´ils avoyent accoustumé de faire de toute ancieneté: et qui estoyen jusques alors demeurees impunies par la souffrance, ou impuissance des Comtes de Flandres. Et quasi au mesme temps, le Roy François I alla en personne, pour chastier la rebellion des Rochelois, ausquels toutesfois il pardonna, sans faire mourir personne, disant qu´il n´avoit pas moins d´occasion de venger sa douleur que l´Empereur, et neantmoins qu´il aimoit mieux accroistre ses louanges à conserver, qu´à ruïner ses sujects. Si on fait jugement de ces trois Princes, on dira peut estre que l´un a esté trop severe en la punition d´une communauté, l´autre a par trop affecté la douceur: car une rebellion passee par souffrance, tost apres en attire une auter: le troisieme a moderé l´un et l´autre, tenant la mediocrité entre la douceur et cruauté, qui est le moyen de la vraye justice que la loy veut[10] estre gardé en la punition des forfaicts, mesmement où il est question de punir une multitude en communauté, ou sans communauté. Le mesme Empereur Charles V pardonna une faute capitale au premir chef de lese majesté, quand tous les estats d´Espagne se rebellerent contre luy, lors qu´il partir pour aller prendre possession de l´Empire, combien qu´ils eussent ja tiré de prison, voire esleu le Duc de Calabre pour Roy, qui ne le voulut accepter: il n´y en eut pas un puni: qui estoit sagement faict, car la maladie estant universelle, il eust r´enflammé le feu qui estoit mal estaint. [201]

Reste à voir si la Republique se peut passer de corps et college.

3.    S´il est bon d´oster ou endurcir les corps et colleges

Nous avons dit que les hommes par societez et compagnies mutuelles, s´acheminerent aux alliances et communautez des estats, corps et colleges, pour composer en fin les Republiques que nous voyons: qui n´ont point de fondement plus seur apres Dieu que l´amitié et bien-vueillance des uns envers les autres: laquelle amitié ne se peut maintenir que par alliances, societez, estats, communautez, confrairies, corps et colleges. Et par ainsi demander si les communautez et colleges sont necessaires à la Republique, c´est demander si la Republique peut estre maintenue sans amitié, sans laquelle mesme le monde ne peut subsister. Ce que je di, pour autant, qu´il y en a qui ont esté, et sont d´advis que tous corps et colleges soyent abolis: et ne regardent pas que la famille et la Republique mesme, ne sont rien autre chose, sinon communautez. Qui est l´erreur auquel les plus grands esprits s´aheurtent le plus souvent: car pour une absurdité qui advient d´une bonne coustume, ou ordonnance, ils veulent rayer et biffer l´ordonnance, sans avoir esgard au bien qui en reussit d´aillerus. Je confesse bien que le colleges et communautez mal reiglees, tirent apres soy beaucoup de factions, seditions, partialitez, monopoles, et quelquesfois la ruïne de toute la Republique, et qu´au lieu d´une amitié sacree et bienveuillance charitable, on y void naistre des conjurations et conspirations des uns envers les autres. Et qui plus est, on a veu sous ombre de Religion, que plusieurs colleges ont couvé une execrable et detestable impieté: il n´y a point de meilleur exemple que la confrairie des Bacchanales [202] en Rome, où il y avoit plus de sept mil personnes, partie accusez, attaints, convaincus, et plusieurs executez et bannis, pour les meschancetez abominables qu´ils commettoyent sous voile de Religion: qui a la plus belle et la plus divine apparence qu´on sçauroit imaginer: comme disoit le Consul, parlant au peuple Romain des impietez qu´il avoit averees, Nihil in speciem[11] fallacius prava religione, ubi Deorum numen praetenditur sceleribus, subit animum timor. Qui fut la cause d´abolir les confrairies des Bacchanales par toute l´Italie, par arrest du Senat, qui fut emologué par le peuple, et passa en force de Loy[12], que deslors en avant on ne feroit aucuns sacrifices sinon en public. Ce que long temps auparavant un sage Grec avoit suadé aux Atheniens, disant que les sacrifices nocturnes luy estoyent mervueilleusement suspects. Aussi est-il beaucoup plus expedient en toute Republique de permettre en public les assemblees, colleges et confrairies qui pretendent le faict de religion, ou les oster du tout, que les souffrir en secret et a la desrobee: et, comme dit Caton le Censeur, Ab nullo genere non summum periculum est, si coetus, et concilia, et secretas consultationes esse sinas. Car il n´y a conjuration qu´on ne puisse faire en telles assemblees secrettes, qui croissent peu à peu, et en fin l´apostume creve, qui infecte toute la Republique, comme il advint en la ville de Munstre, où les Anabaptistes multiplierent si bien en secret, qu´ils envahirent l´estat de Westphalie: et en Italie les colleges et confrairies des Pythagoriens, attirerent à leur cordelle tant de disciples, que les plus grands seigneurs y coururent: et lors ils voulurent changer les estats populaires en Aristocraties, mais le peuple courut à sus, et en brusla fort grand nombre assemblez en un lieu: ce qui troubla, dit Polybe[13], presque tous les estats d´Italie et de la Grece. Et pour ceste cause les Empereurs, et presque tous les Princes, Papes et conciles restituans aux Juifs le droit des corps[14] et [203] colleges, que Tibere, Claude, et Domitian leur avoyent osté anciennement, ils voulurent que leurs prieres se fissent en public. Ce que le Roy Pharao leur vouloit bien ottroyer, mais Moïse lui dit, que les Aegyptiens les lapideroyent. Et pour en dire la verité, c´est chose fort malaisee d´entretenir corps et colleges, pour quelque religion que ce soit, quand elle est contraire à la religion du peuple, où de la pluspart d´icelui: qui bien souvent ne peut estre contenu, ni par loix, ni par Magistrats, si la force des gardes n´est bien grande: car mesmes on a veu Thomas Empereur de Constantinople, estre cruellement tué par le peuple en plein Eglise, parce qu´il vouloit abolir les images. On a veu aussi en la ville de Francfort quatre corps et colleges de diverses religions publiquement approuvees et exercees: à sçavoir celle des Juifs, des Catholiques, des Protestants, et de la confession de Geneve: mais il advint l´an M.D.LXII. au mois de May, que les Protestans s´asseurans des forces et de la souveraineté de leurs partisans, se ruerent sur ceux de la confession de Geneve, qui fut cause qu´elle fut ostee: ce qui n´est pas tan à craindre, quand les sectes sont receuës d´ancienneté, comme celle des Juifs, ausquels les Princes d´Europe et de Barbarie ont presque tousjours accorde leurs anciens privileges, et des corps et colleges pour l´entretenement de leur religion: en payant par eux certaines charges, comme ils faisoyent aux Empereurs Romains l´impost qu´on appelloit[15] Aurum coronarium: que les Empereurs d´Allemagne donnent ordinairement aux[16] Imperatrices: pour la confirmation de leurs privileges, qui sont encor plus grands en Pologne et Lituanie, qu´en lieu du monde, depuis qu´ils furent ottroyez par[17] Cazimir le grand, Roy de Polongne, à la suasion d´une Dame Juifve nommee Hester: comme ils avoyent eu anciennement du Roy de Perse, par le moyen d´une Juifve de mesme nom: où ils multiplierent si bien qu´il n´y avoit [204] province à la grande Asie, qui n´eust une colonie de Juifs, comme nous lisons en Josephe et Philon. Il se peut faire aussi, que les colleges des sectes sont si puissans, qu´il seroit impossible, ou bien difficile de les ruiner, sinon au peril et danger de l´estat. En ce cas les plus advisez Princes ont accoustumé de faire comme les sages pilotes, qui se laschent aller à la tempeste, sçachant bien que la resistance qu´ils feroyent, seroit cause d´un naufrage universel. Cela s´est veu sous l´Empire de Constans, lequel maintenoit les corps et colleges des Arriens, non pas tant pour l´affection qu´il leur portoit, ainsi que plusieurs ont escrit, que pour conserver ses sujects et son estat: car mesmes Theodose le Grand, qui fut tousjours contraire a leur opinion, maintint les uns et les autres en paix, et obeïssance: et plus encor Valens et Valentinian, jaçoit que l´un fust Arrian, l´autre Catholique: et depuis Zenon, qui fit publier l´edict de paix et union qu´ils apelloyent Henoticon: et à son exemple Anastase fit publier l´edict d´oubliance, cherissant les prescheurs sages et modestes, et chassant ceux-là qui estoyent trop[18] vehements. Mais il est certain que le Prince portant faveur à une secte, et mesprisant l´autre, l´aneantira sans force ni contrainte, ni violence quelconque, si Dieu ne la maintient: car l´esprit des hommes resolus plus se roidit, tant plus on luy resiste: et se lasche si on ne lui fait teste. Joint aussi qu´il n´y a rien plus dangereux à un prince, que de faire preuve de ses forces contre ses sujects, si on n´est bien asseuré d´en venir à chef: car c´est armer et monstrer les griffes au lyon pour combattre son maistre. Et si les plus sages Princes y sont fort empeschez, que doit-on attendre d´un Prince quie se void assiegé de flatteurs et de calomniateurs, qui sufflent à toute puissance le feu de sedition, pour embraser les plus grandes maisons? Comme sous les premiers Empereurs, on trouva des calomnies si lourdes et impudentes, qu´il n´en fut [205] onques auparavant inventé de plus estranges pour abolir les corps et colleges des Chrestiens: car on les chargeoit d´estre Atheïstes, incestueux et parricides, et manger le fruict qui[19] provenoit de leurs incestes: ainsi qu´on peut voir aux Apologies de l´Orateur Athenagoras, et de Tertullian: la mesme accusation fut intentee contre les Templiers sous le regne de Philippe le Bel, qui fut cause d´en faire brusler grand nombre, et abolir tous leurs colleges: mais les Allemanes ont laissé par escrit, que c´estoit une pure calomnie, pour avoir leurs grands biens et richesses. On fit le semblable envers les corps et colleges des Juifs, tant en France sous Dagobert, Philippe Auguste: et Philippe le Long, que depuis en Espagne sous Ferdinand Roy d´Arragon et de Castille, lequel par pieté impitoyable les chassa de tout le païs, et s´enrichit de leurs biens. Donc pour resoudre ceste question, s´il est bon d´avoir des estats, colleges et communautez, et si la Republique s´en peut passer, on peut dire, à mon advis, qu´il n´y a rien meilleur pour maintenir les estats populaires, et ruiner les tyrannies: car ces deux Republiques en soy contraires se maintiennent et ruïnent par moyens tous contraires: et par mesme suite de raisons, les estats Aristocratiques et justes Royautez, sont maintenus par la mediocrité de certains estats, corps et communautez bien reiglees: et tout ainsi que l´estat populaire reçoit et embrasse tous colleges, corps et communautez, comme nous avons dit que fit Solon, establissant l´estat populaire des Atheniens: aussi le tyran s´efforce les abolir du tout: sçachant bien que l´union et amitié des sujects entr´eux, est sa ruine inevitable. Le Bon Roy Numa fut le premier qui erigea les colleges et confrairies de mestiers: Tarquin l´orgueilleux fut le premier qui les osta, et qui empescha les estats du peuple de s´assembler, et s´efforça mesmes de[20] supprimer le corps du Senat par la mort des Senateurs, sans vouloir pourvoir des nouveaux [206] Senateurs: mais aussi tost que les sujects lui donnerent la chasse, on restablit les estats du peuple, on supploya le nombre des Senateurs, on restitua les colleges abolis: qui furent tousjours maintenus, jusques à ce que le Senat estant multiplié au nombre de cinq cens ou environ, et ayant tiré à soy presque la souveraineté, abolit la pluspart des[21] confrairies. Neantmoins Claude le Tribun, pour maintenir le peuple en contrecarre de la noblesse, (à laquelle il renonça, se faisant adopter par un homme roturier, pour estre Tribun) restitua tous les colleges et confrairies[22], et les augmenta: mais si tost que Cesar fut Dictateur[23], il les abolit pour maintenir sa puissance, et ravaller celle du peuple: depuis Auguste[24] ayant asseuré son estat, les remit par edict expres: et[25] Neron le tyran les supprima: et tousjours les tyrans ont eu en haine les estats, corps et communautez des peuples: et mesmes Denys le tyran, ne vouloit pas seulement que les parents se visitassent l´un l´autre, et permettoit, dit Plutarque, de les voler, quand ils retournoyent au soir de voir leurs amis: et Neron alloit souvent par les rues la nuict, frappant, et blessant tous ceux qui retournoyent de soupper avec leurs amis, tant il craignoit les assemblees, pour les conjurations qui se peuvent faire contre la tyrannie des mauvais Princes. Et neantmoins la juste royauté n´a point de fondement plus asseuré, que les estats du peuple, corps et colleges car s´il est besoin de lever deniers, assembler des forces, maintenir l´estat contre les ennemis, cela ne se peut faire que par les estats du peuple, et de chacune province, ville et communauté. Aussi void-on que ceux-là mesmes qui veulent abolir les estas des sujects, n´ont autre recours en leur necessité, sinon aux estats et communautez, lesquels estans unis ensemble, se fortifient pour la tuition et defense de leurs Princes: et mesmement aux estats generaux de tous les sujects, quand le Prince est present: la [207] on communique des affaires touchant le corps universel de la Republique, et des membres d´icelle: la sont ouïes et entendues les justes plaintes et doleances des povres sujects, qui jamais autrement ne viennent aux oreilles des Princes: la sont descouverts les larins, concussions, et voleries qu´on fait sous le nom des Princes qui n´en sçavent rien. Mais il est incroyable, combien les sujects sont aises de voir leur Roy presider en leurs estats: combien ils sont fiers d´estre veus de luy: et s´il oit leurs plaintes, et reçoit leurs requestes, ores que bien souvent ils en soyent deboutez, si sont-ils bien glorieux d´avoir eu accez a leur Prince: ce qui est mieux gardé en Espagne qu´en lieu du monde, o les estats par ci devant estoyent tenus de deux ou trois ans l´un: et en Angleterre aussi, par ce que le peuple ne baille point de taille, si les estats ne sont assemblez. Toutesfois il y en a qui se sont efforcez par tous moyens, de changer les estats particuliers de Bretagne, Normandie, Bourgongne, et Languedoc, Dauphiné, Provence, en elections, disant que les estats ne se font qu´a la foule du peuple: mais ils meritent la response que fait Philippe de Commines à ceux qui disoyent que c´estoit crime de lese majesté d´assembler les estats. Je ne veux pas nier qu´il n´y ait de l´abus et des larcins, qui ont esté bien averez par les extraits des estats de Bretagne, l´an M.D.LXVI. je sçay bien aussi que les pensions des estats de Languedoc revenoyent à plus de XXV. mil francs, sans les frais des estats, qui ne coustoyent gueres moins: mais on ne peut nier, que par ce moyen le païs de Languedoc n´ait esté deschargé sous le Roy Henry de cent mil livres tous les ans: et le païs de Normandie de quatre cens mil, qui furent egalees sur les autres gouvernements qui n´ont point d´estats: et neantmoins il est bien certain, que les elections coustent deux fois autant au Roy et au subjects, que les estats: et en matiere d´imposts, plus il y a d´officiers, [208] plus y-a de pilleries: et jamais les plaintes et doleances des païs gouvernez par election ne sont veuës, leuës, ni presentees, ou quoy que soit on n´y a jamais d´esgard, comme estans particulieres: et tout ainsi que plusieurs coups d´Artillerie l´un apres l´autre, n´ont pas si grand effect, pour abbatre un fort, que si tous ensemble sont delaschez, aussi les requestes particulieres s´en vont le plus souvent en fumee: mais quand les colleges, les communautez, les estats d´un païs, d´un peuple, d´un royaume font leurs plaintes au Roy, il luy est mal aisé de les refuser. Combien qu´il y a mil autres utilitez des estats en chacun païs, c´est à sçavoir le bien concernant la communauté de tout le païs, s´il est question de faire levee d´hommes, ou d´argent contre les ennemis, ou bien de bastir forteresses, unir les chemins, refaire les ponts, nettoyer le païs de voleurs, et faire teste aux plus grands: tout cela s´est mieux faict par ci devant au païs de Languedoc par les Estats, qu´en autre province de ce Royaume. Ils ont ordonné douze cents livres par chacun an pour l´institution de la jeunesse de tout le païs en la ville de Nismes, outre les autres colleges particulieres: ils ont basti les belles forteresses du Royaume: ils ont faict executer Buzac, le plus noble voleur qui a esté de nostre memoire, duquel ni Juge ni Magistrat, ni le Parlement mesmes de Toulouse n´avoyent peu avoir la raison: car il faisoit ses voleries par forme de justice, et si hardi de s´attacher à luy. Ils ont aussi ordonné douze cents livres d´estat pour un Prevost des Mareschaux, et outre cela XXV. livres pour chacun proces qu´il rapportera des executions par luy faictes. J´ay bien voulu cotter en passant ces particularitez, pour faire entendre le grand bien qui reussit des estats qui son encores mieux reiglez és Republiques des Suisses, et de l´Empire d´Allemagne, qu´en autres Republiques de l´Europe. Car outre les estats de chacune ville et Canton, ils ont leurs estats generaux: les dix [209] circuits de l´Empire ont leurs estats separez, ausquels se rapportent les estats particuliers des villes Imperiales et contrees: et les estats des circuits se rapportent aux estats de l´Empire: qui fust long temps a ruïné sans ceste police. J´ay dit que la mediocrité, qui est louable en toutes choses, se doit aussi garder és estats Aristocratiques, et justes Royautez, pour le regard des corps et colleges: car d´oster tous les corps et communautez, c´est ruiner un estat, et en faire une barbare tyrannie: aussi est-il dangereux de permettre toutes assemblees et toutes confrairies: car bien souvent on y couve des conjurations, ou des monopoles: nous en avons trop d´exemples: qui a esté la cause d´oster plusieurs fois les confrairies par edict expres, qui toutesfois n´ont jamais peu estre executez: il vaut beaucoup mieux arracher les abus, comme les mauvaises herbes, que d´arracher les bonnes et mauvaises tout ensemble. Et pour eviter aux monopoles, il est expedient de diviser les artisans en divers endroits des villes, et non pas les ranger tous en un quartier, comme il se fait és villes d´Afrique, et en plusieurs villes d´Europe: car outre les incommoditez qu´il y a és grandes villes, de n´avoir en chacun quartier les artisans, qui sont necessaires ordinairement, il faut qu´il y ait des monopoles, pour survendre la marchandise, et les ouvrages, ou de la jaluosie, et des querelles, si l´un en fait meilleur marché que l´autre, devant les yeux de celui qui en a faict refus. J´ay dit des artisans ordinairement requis: car quant à ceux qui son moins requis, comme les gens de marteau, on les peut renger en mesme quartier, pour ne les mesler avec les gens de lettres et de repos. Or tout ainsi qu´il n´y a rien meilleur pour la force et union des sujects que les corps et communautez, aussi n´y a-il rien plus expedient pour asservir les ennemis vaincus, que leur oster premierement les corps et colleges, comme tresbien prattiquerent les Romains apres avoir vaincu les Rois de Macedoine [210][26]: et depuis encores les Acheans assubjectis, le consul Mummius concilia[27] ominia singularum Achaiae nationum, et Phocensium, ac Boeotorum, aut in alia parte Graeciea delevit. Puis apres les avoir rendus bons subjects et obeïssans, il est dit, antiqua concilia genti cuique restituta.

 

[1] ex l. semper § 2. quod vi. l. aliud. de regul.

[2] In l. aut facta. de poenis. et ibi Bartolus et Abbas Panormitanus. in c. gratum de postul. praelat. l. semper. § 2. quod vi.

[3] d. l. semper.

[4]Tacitus lib. 14.

[5]l. vulgaris §. penult. de furtis. ff. l. si pures. de injur. ff.

[6]l. ita vulneratus. fine. ad l. aquil.

[7]lib. 26.

[8]Vopiscus in Aureliano.

[9]Polybius, lib 5.

[10]l. respiciendum de poenis.

[11]Tite Live. lI. 39.

[12]Tite Live lI, eo loco..

[13]Polybius, lI. 3.

[14]Toto titulo de Judaeis Cassiodori. lib. 5. cap. qui sincera 46. dist. et in concil. Tolet. ca. de Judaeis. 45. distin. cap. quinto c. post miserabilem. de usur. lib. 6 et 28. q. l. c. saepe. vide consil. Joann. de Lignano 19.

[15]l. 1. de auro coronario. C.

[16]Martin. de Cazar. sectio 4. de princ.

[17]Aux ordonnances de Polongne.

[18]Evagrius l. 3. c. 29. Nicepho Callistus lib. 16. c. 26.

[19] Idem Epiph. tradit. de gnosticis, eos in mortario partus ex incestu natos, ova cum farina, melle et aromatis contundere, ac pinsere, ex eoque placentas facere consuevisse, ut ex his vescerentur, idque sacramentum fuisse corporis et sanguinis.

[20]Dionysius Halicarnasi lib. 6.

[21]Asconius in Corn. Salust. in orat. Portii Latronis.

[22]Cic. in Pis.

[23]Tranquil. in Jul.

[24]Tranquil. in Augusto.

[25]Tacitus lI. 14

[26]Tite Live, lI. 35

[27] Strabo.